Germain Hacquet l’Américain

Introduction

Dans la vie des grands courants de pensée, il est parfois des obscurs, des sans-grades qui construisent l’avenir avec plus de détermination que ceux qui sont sous le feu des projecteurs. Nous voulons rendre hommage à l’un d’entre eux, peu connu, voire méconnu du grand public mais qui a joué un rôle majeur dans le développement du Grand Orient de France, le susnommé Germain Hacquet.

Biographie de Germain Hacquet

Premières années

Germain Hacquet est né à Paris le 22 septembre 1756 de Julien Hacquet et de Nicole Jeanny. Il est mort à Paris le 5 décembre 1835 dans sa 79ème année.

Sa famille demeurait au 148 rue Saint Honoré à Paris et semblait être plutôt aisée. Son père était déclaré comme Bourgeois de Paris[1]. En choisissant de s’exiler à Saint Domingue, le fils a-t-il voulu tenter sa chance dans cet eldorado, ou bien fuir quelques vicissitudes familiales ? Nul ne le sait.

Germain se maria à Port au Prince avec Anne Adélaïde Machard, issue d’une famille de planteurs de Saint Domingue. Elle lui donna un fils, Jean Marie Alphonse Eugène Amédée, né le 14 juin 1796.

Exilé de Saint Domingue suite aux évènements liés à la révolte des Noirs, Il émigra d’abord aux Etats-Unis dans l’État de Pennsylvanie à Philadelphie, puis retourna à Haïti pour une courte période avant de rembarquer pour Nantes avec son fils[2] et la jeune Émilie Victoire Adélaïde Françoise Barbier[3] âgée de 21 ans.

La jeune femme lui donna deux garçons (1807 et 1808) et G. Hacquet l’épousa un peu plus tard, en 1812 (il a alors 56 ans)[4]. Sa seconde épouse était issue d’une puissante famille créole de Saint Domingue qui émigrera en France et qui sera en partie indemnisée par le gouvernement pour la perte de leurs exploitations[5].

Son ainé embrassera la carrière militaire sous Napoléon 1er en s’engageant dans les Chevau-Légers de la Garde Impériale en 1813[6]. Il fera la Campagne de 1814[7] et pendant les Cent-Jours il suivra Louis XVIII en exil à Gand. Il quittera l’armée pour devenir instituteur[8].

Carrière militaire

A l’âge de 19 ans, Germain Hacquet s’engagea dans les troupes coloniales comme simple soldat et débarqua à St Domingue le 17 octobre 1775 où il fut incorporé dans le régiment de Port aux Princes[9], chargé de défendre la plus riche colonie française contre les attaques anglaises.

Une milice locale, dénommée les « légionnaires de Saint Domingue » ainsi que de nouvelles recrues formèrent le Régiment de Port-au-Prince[10].

Congédié pour ancienneté le 3 mai 1784 avec le grade de Sergent, Germain Hacquet revint à la vie civile après 9 années passées dans l’armée.

Carrière Civile

Germain Hacquet exerça de 1789 à 1799 puis de 1802 à 1803 la fonction de Notaire Public[11]à Port aux Princes. Le notaire public, contrairement à son homologue privé chargé de gérer les biens d’une grande famille aristocratique, s’occupe des formalités administratives en rapport avec les affaires internationales. Il ne s’agit pas d’une profession mais d’une charge confiée par l’administration coloniale. Ses interventions consistent à authentifier des documents, renouveler des passeports, préparer des dossiers d’immigration ou des formalités ayant trait aux effets de commerce et actes de commerce maritime[12].

A ce titre, Germain Hacquet représenta les Blancs lors de la signature du Concordat du 11 septembre 1791 entre la Garde Nationale de Port-au-Prince et les mulâtres libres[13].

Les troubles de Haïti

Au moment où éclatèrent les évènements, la partie française de Saint Domingue justifiait amplement de son titre de « Reine des Antilles » Jamais colonie ne fut si florissante et aucune ne l’égala par la suite. A elle seule elle produisit plus de richesses que toutes ses voisines antillaise, anglaise et espagnole réunies. Elle fournissait alors les trois quarts du sucre mondial et alimentait près des deux tiers du commerce extérieur français.

Fondée sur un modèle colonial esclavagiste, la colonie de Saint-Domingue vit cependant son incroyable prospérité troublée de façon cruciale par la révolution française. Aux côtés des 50.000 blancs, coexistent 405.000 esclaves.

De toute évidence, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyens du 26 aout 1789 fut considérée de ce côté de l’Atlantique comme une véritable déclaration de guerre. L’Assemblée Provinciale de Saint Marc constituée de planteurs blancs créoles concentra les tendances indépendantistes.

Le chevalier Mauduit du Plessis, colonel du Régiment de Port aux Princes, prit la tête du parti du gouvernement et entra en campagne contre l’Assemblée. Les troubles avaient déjà commencé avec le pillage de Port-au-Prince. En représailles des excès commis envers les Noirs, la Métropole envoie des troupes en 1791 sans grand effet. Les libres de couleur enregistrèrent leur premier succès et l’insurrection des esclaves qu’on n’osait imaginer changea complètement la donne.

Le 4 février 1794, l’esclavage ayant été aboli par la Convention, les colons aidés par les Anglais et les Espagnols se révoltèrent et combattirent les troupes placées sous les ordres de Toussaint Louverture, premier général noir de la République.

Redevenu civil, Germain Hacquet ne pouvait rester indifférent. Voyant la métropole incapable de régler les affaires pour maintenir la prospérité de l’île, il s’engagea comme volontaire dans la milice royale et fut nommé, le 17 janvier 1788, Sous-Lieutenant dans un régiment de Dragons. Il rejoignit alors l’armée des Anglo-émigrés et de 1794 à 1799, il se battit sous la bannière royaliste avec les insurgés, issus de l’aristocratie sucrière et leurs alliés anglais et espagnols.[14][15].

  1. Hacquet fut blessé dans la campagne des Gonaïres en 1790 et eut l’honneur de monter le premier à l’assaut du fort de la Saline en 1794 et d’y planter lui-même le pavillon royal. La même année, il fut nommé pour remplir les fonctions de commandant de la Place de Port-au-Prince[16].

Les armes et les renforts envoyés de la métropole eurent raison des insurgés. Toussaint Louverture et les nombreux ex-esclaves noirs sous son commandement étaient devenus maitres de la situation. L’armistice du 30 mars 1798 permit à l’armée anglaise de se retirer de Saint Domingue et d’abandonner la colonie en proposant à ceux qui le désiraient d’être évacués. Ayant pour dessein l’indépendance de l’île, Toussaint Louverture ménagea les royalistes. Mais beaucoup préféreront s’expatrier.

Quant à Germain Hacquet, il était déjà réfugié à Philadelphie depuis six mois. Il ne retournera à Saint Domingue qu’en juin 1798, le climat s’étant nettement amélioré car Toussaint Louverture avait réalisé que la prospérité de l’île ne pouvait se passer du savoir-faire des Blancs.

Le Général Hédouville, délégué général de la République, envoyé par le gouvernement avec 200 hommes n’a pas réussi à lutter contre les 20.000 hommes de Toussaint Louverture. Au bout de quelques mois, Hédouville s’enfuit par bateau avec 1.500 colons et accusera Toussaint Louverture de s’être entendu avec le gouvernement des États-Unis et les Anglais pour rendre indépendante la colonie.

A ce titre Toussaint Louverture envoya Joseph Bunuel[17] afin de contacter les principaux marchands de Philadelphie[18] et lever l’embargo qui pèse sur la colonie. Ce dernier rencontra le président John Adams, le secrétaire d’État Timothy Pickering et un membre du Congrès, Albert Gallatin, lequel défendit brillamment la cause de Saint Domingue. Ce rapprochement, sans doute motivé par des amitiés maçonniques, déboucha sur un traité de commerce avec les Américains en juin 1799.

De retour à Port-au-Prince, Hacquet exerça encore pendant quelques mois les fonctions de notaire public (1802-1803)[19]. Mais Saint-Domingue connaissait alors un grand chaos généré par la politique de la terre brûlée pratiquée par les hommes de Toussaint Louverture. Napoléon envoya alors son beau-frère, le Général Leclerc, suivi de 31.000 hommes afin de reprendre le contrôle de l’ile. Louverture dut se rendre en mai 1802, fut arrêté en juin puis déporté dans le Jura. Leclerc meurt de la fièvre jaune, le corps expéditionnaire est lui-même décimé par la même maladie. Rien n’est plus comme avant, les esclaves se réfugièrent à l’intérieur des terres et continuèrent la guérilla. Le successeur de Leclerc, Rochambeau, dut capituler devant 20.000 insurgés à la bataille de Vertières[20], avec pour seule issue la négociation pour l’évacuation de l’ile[21].

A ce moment-là, Germain Hacquet fit une demande de passeport[22] pour se réfugier d’abord à St Thomas. Il arriva à New-York fin 1803[23] pour se rendre ensuite à Philadelphie où il est témoin d’un mariage[24]. Peu de temps après, il embarqua pour Nantes avec son fils et ne remit plus jamais les pieds à Saint Domingue.

Pourquoi les colons français se sont-ils réfugiés à Philadelphie ?

Saint-Domingue fut le berceau de la réussite économique d’ambitieux officiers français. Ils disposaient de capitaux, de réseaux mais aussi d’un esprit d’entreprise conquérant. Autant d’atouts soutenus par un enrichissement rapide d’autant plus remarquable qu’il était rare à une époque dépourvue d’industries.

Pourtant, la montée en puissance de la révolte noire qui précéda de quelques mois seulement l’abolition de l’esclavage par la révolution française (1794) provoqua un exode massif des colons français vers la côte Est de l’Amérique. Précisément, ce sont plus de 20.000 réfugiés français de Saint Domingue ont pris la fuite vers l’Amérique entre 1789 à 1806. Près de 3.000 réfugiés français accostèrent à Philadelphie qui devient alors le creuset d’accueil de populations aux objectifs contradictoires.

Ville libre au cœur d’un état libre, Philadelphie est le phare de l’abolitionnisme. Berceau de la démocratie américaine, Philadelphie accueille paradoxalement les anciens propriétaires des riches plantations de Saint-Domingue. Dès leur arrivée, ces derniers ne poursuivirent qu’un seul objectif, rétablir la relation maître à esclave qui structura leur réussite économique à St Domingue. Certains réfugiés fraichement débarqués installèrent très vite de nouvelles colonies agricoles sur la « Frontière sauvage » de l’Etat, à l’Est de la Pennsylvanie.

Bien après l’abolition de l’esclavage, rares furent les colons français qui émancipèrent directement les esclaves les ayant accompagné dans leur périple. La plupart du temps, les émigrés français ont d’abord cherché à revendre ces hommes convoités car emblématiques d’une main d’œuvre recherchée et sous-payée.

En ville, les réfugiés formaient une petite colonie. Ils se heurtaient à la vindicte d’un autre français, Gatereau qui rédigeait une gazette antiroyaliste, le Courrier de la France et de ses colonies. D’autres publications leur étaient cependant plus favorables, comme l’édition bilingue L’Etoile Américaine ou The American Star, ou encore la publication de Tanguy de la Boissière, qui diffusa en septembre 1793 le journal Colons de Saint-Domingue réfugiés aux Amériques.

 En janvier 1794, Le Congrès des nouveaux Etats-Unis porta à l’ordre du jour la question d’une aide gouvernementale qui pouvait être attribuée aux réfugiés des Antilles françaises. Après des débats houleux, ce fut finalement un fonds de plus de 15.000 dollars qui fut alloué pour cette cause.[25]

Il faut encore signaler le rôle de la Société de bienfaisance de Philadelphie.[26] Fondée en 1793 pour porter secours moral et assistance matérielle à tous ceux qui pouvaient se réclamer d’ascendance française, la Société a commencé à porter secours aux réfugiés de la révolution française tout comme à ceux des Antilles.

Initiation maçonnique

Selon toute vraisemblance, Germain Hacquet fut initié en 1790 à Port au Prince dans une loge sous constitution de la Grand Loge de Pennsylvanie[27] « les Cœurs Franco-américains n°47 ». Il était âgé de 34 ans. Le tableau de 1790 mentionne qu’il exerce alors la charge de secrétaire adjoint et qu’il est parvenu au grade de Maitre[28].

La loge « les Cœurs Franco-américains n°47 » de l’ancienne constitution d’York, élevée à l’Orient de Port au Prince, Isle et côté français de Saint Domingue a une demande de constitution datée du 18 décembre 5789 (18 février 1790).

Elle est diligentée par les B\A\F\ Pierre Augustin Riquet du Belloy, Vénérable, Joseph Olivier 1erSurveillant et Pierre Julien 2ème Surveillant. La Loge sera installée par les Frères Laurent Laplace, Célestin le Febvre et Louis Hamell de la Grande Loge de Pennsylvanie[29]. Germain Hacquet est « Passé Maitre » en 1797, ce qui suppose qu’il exerça la direction de la Loge vers les années 1795-96, en pleine révolution haïtienne.

Quittant St Domingue pour Philadelphie, il démissionnera et s’affiliera à l’Aménité n°73 de Philadelphie le 13 décembre 1797. Profitant de l’accalmie il démissionnera de cette Loge le 2 juin 1798 pour retourner à St Domingue. Il y revient avec le poste de Député Grand Inspecteur Général du rite de perfection 25ème et le 9 janvier 1802, il est nommé Député G\M\ de la G\L\ Provinciale de Saint Domingue. Dans le tableau de la Loge en 1800, il est Expert-Architecte.

Le Rite de Perfection

Germain Hacquet fut un dignitaire du Rite de Perfection amené dans les Caraïbes par Stéphane Morin. De son vivant, ce dernier nomma Henry A. Francken, Député Inspecteur pour l’Amérique du Nord qui le transmit à Michael Hayes et A. Prévost de la Jamaïque, qui eux-mêmes le transmettront à différentes personnalités de la maçonnerie américaines. Germain Hacquet fut nommé Député Inspecteur 25ème à Philadelphie en 1798 par Pierre le Barbier Duplessis.[30].

Le retour en Métropole

Germain HACQUET rentre à Paris en juillet 1803 et rapporte dans ses bagages le Rite de Perfection[31] en 25 degrés. Il veillera toujours de son vivant à maintenir ce Rite de Perfection actif.

Il établira un Conseil de Hauts Grades Écossais au sein de la Loge la Triple Unité en 1804, puis créera en juin la Loge Phoenix à Paris qui pratiquera le rite américain « ancien » et le rite écossais de Heredom[32]. Un Grand Consistoire du rite de Heredom sera créé la même année avec Germain Hacquet comme Souverain Grand Commandeur[33].

En 1807 Il créé le Chapitre du Phénix qui travaillera à l’Arc Royal américain et en sera le Grand Prêtre jusqu’en 1821. Le chapitre du Phoenix pratiquera le rite de Heredom jusqu’en 1848, date à laquelle il cessera définitivement d’être pratiqué en France.

Le Concordat de 1804

Trois mois après l’arrivée de Germain Hacquet en France, arrivent deux autres français émigrés, le comte Alexandre François auguste de Grasse Tilly[34] ainsi que le beau-père de ce dernier, Jean-Baptiste Marie Delahoque[35] qui exerçait comme Germain Hacquet la profession de notaire à St Domingue. On peut dire que Germain Hacquet et De Grasse Tilly étaient en concurrence, car tous deux porteurs du dernier grade du rite de Perfection et partie prenante dans l’aventure de l’Écossisme.

Dès son arrivée en France ce dernier créera le 22 septembre 1804 le Suprême Conseil du 33ème « en » France[36]. Les Loges écossaises parisiennes[37] qui sont en conflit depuis plusieurs années avec le Grand Orient de France ne peuvent qu’être intéressées par cette initiative.

Les vénérables de ces Loges se réunissent le 22 octobre 1804 dans les locaux de la Loge Saint Alexandre d’Écosse et constituent la Grande Loge Générale Écossaise « de France »[38] avec la participation de la Mère Loge Écossaise de Marseille, les Loges qui avaient refusé la fusion avec le G\O\D\F\ en 1799, des loges mises à l’index parce qu’écossaises[39] et les Loges de Saint Domingue travaillant au rite des «Antients»[40]. Germain Hacquet est nommé Premier Grand Surveillant de la Grande Loge Générale Écossaise « de France » et Maître des cérémonies du Suprême Conseil 33ème en France[41].

Le 27 novembre Joseph Bonaparte devient Grand Maitre du G\O\D\F\, et son frère cadet Grand Maitre Adjoint. La Maçonnerie française est verrouillée par le clan Bonaparte dont le chef est sacré Empereur des Français le 1er décembre 1804.

Dans un souci d’apaisement, le 5 décembre 1804, la signature, au domicile du maréchal Kellermann, entérine l’« Union des Rites »[42] concrétisée par l’« Acte d’Union et Concordat » entre le G\O\D\F\, la G\L\G\E\ et les Affiliés libres de toutes les Loges et de tous les Chapitres de France dont fait partie Germain Hacquet, mais aussi Thory pour le Rite Écossais Philosophique et bien d’autres membres d’ateliers dissidents.

Cependant dans les premiers mois de 1805 les relations se tendent entre Roëtiers de Montaleau et de Grasse Tilly. La création d’un Grand Directoire des rites[43], chargé d’administrer les grades au-delà de celui de maitre, prive De Grasse Tilly, de la possibilité d’octroyer moyennant finances des patentes écossaises. Celui-ci, qui vient de recevoir son affectation à Strasbourg, puis pour l’armée d’Italie, démissionne du Suprême Conseil 33ème en France. Il est remplacé par l’Archichancelier d’Empire, Régis de Cambacères.

Ce qu’il faut retenir de cette tentative d’union de tous les rites, c’est que le rite des Anciens Maçons d’York tel que le pratiquait Germain Hacquet à Saint Domingue, se trouve implicitement intégré au G\O\D\F\. La querelle du rite écossais Philosophique portée par le Loge Mère Ecossaise St Alexandre d’Écosse est close.

Les Chapitres Rose Croix d’Heredom de Kilwinning sont intégrés au G\O\D\F\[44]. Après la création du Grand Directoire des Rites chargé de gérer cet Acte d’Union, seule la Grande Loge Générale écossaise dénonce le Concordat. Par voie de conséquence, seuls les membres du G\O\D\F\ porteurs du 33ème degré au sein du Grand Directoire des Rites, sont de factohabilités à administrer le Rite[45].

En 1808, le Grand Orient de France et le Suprême Conseil des Rites (présidé par Germain Hacquet en sa qualité de Souverain Grand Commandeur du Souverain Grand Consistoire de France du Rite de Heredom), entament une correspondance avec le Souverain Grand Consistoire de New York. Joseph Cerneau est nommé représentant du G\O\D\F\ et Germain Hacquet devient membre honoraire dudit Consistoire[46].

On comprend mieux alors pourquoi le Suprême Conseil en France qui administrait le rite du 19ème au 33ème perdit peu à peu de son importance et tomba en sommeil.

En 1815 avec la chute de l’Empire s’ouvre une période difficile pour la Franc-Maçonnerie française et la plupart des 33ème fondèrent le Suprême Conseil des Rites, intégrant ainsi au G\O\D\F\ l’ensemble des degrés écossais (4-33ème)[47]. Germain Hacquet en devient le 1erSouverain Grand Commandeur[48].

On peut admettre que la tentative faite en juillet 1821 par De Grasse Tilly de réveiller le Suprême Conseil des Isles d’Amérique sous le nom de Suprême Conseil « de » France comme juridiction indépendante du G\O\D\F\ corresponde à un souci de s’ériger en puissance maçonnique indépendante et souveraine afin de contrer l’hégémonie du G\O\D\F\[49].

En revanche, difficile de soutenir qu’il s’agit du seul et authentique Suprême Conseil ; Germain Hacquet s’y refuse en tout cas, respectant à la lettre le Concordat de 1804 et les Grandes Constitutions de 1786 dites de Frederic II prônant avant tout l’Union de tous les rites. Issus pour la plupart du rite de perfection, les dirigeants de la période 1804-1821 mettent l’accent sur les origines françaises de l’Écossisme.

La création de la Loge Phoenix

Sitôt arrivé en métropole, Germain Hacquet créé la Loge écossaise du Phoenix Orient de la Vallée de Paris en obtenant de la Loge « La Constante d’Arras », le 14 juin 1804, une patente de la « Mère Loge Écossaise & Anglaise », enregistrée sous le n°6 et signée du « Grand Maitre » Delecourt ainsi que par Magneul & Berton.

Initié dans une loge américaine, porteur de degrés inconnus de la maçonnerie française, détenteur de diplômes peut être perdus, Germain Hacquet aura connu les plus grandes difficultés à intégrer le G\O\D\F\, qui rappelons-le, consistait à l’époque la seule puissance maçonnique régulière et reconnue. Aussi paraît-il probable qu’il se soit tourné vers d’anciennes connaissances lui ayant indiqué une marche à suivre originale pour créer en métropole une loge lui permettant de travailler lui et ses amis.

La célérité avec laquelle eu lieu cette création doit être attribuée au fait que Germain Hacquet était probablement en relation Jean François Delecourt[50], Vénérable de Loge la constante d’Arras[51] qui avait été notaire.

Lors de la création de la Grande Loge Écossaise de France, la Loge est agrégée et la patente est visée le 17 novembre 1804 par de Grasse Tilly, Hacquet, Thory, Bailhache, Vidal, Abraham et Piron. Quelques jours plus tard, lors de la signature du Concordat le 5 décembre 1804, la Loge Phoenix est enregistrée par le G\O\D\F\ sous le n° 496. Le document est signé par Roëttier de Montaleau, représentant du Grand Maitre.

Comment Germain Hacquet a-t-il réussi à intégrer en quelque mois une structure régulière en fréquentant des gens peu recommandables comme Delecourt ?

Après la signature du Concordat les maçons « étranges » comme celle des Isles des Antilles se trouvent de facto-intégrées au G\O\D\F\ et ont la possibilité de créer des Loges. La quasi-totalité s’affilera à des Loges écossaises et des Chapitres d’Herédon.

Le rite d’York

Germain Hacquet initié dans une Loge des « Ancien Maçons d’York » ne semble pas avoir travaillé dès son retour au rite d’York. Du moins nous n’en avons pas la preuve.

Cependant des 1807 le chapitre Le Phénix travaillera à l’Arc Royal et Germain Hacquet y officiera comme Grand Prêtre. Plusieurs diplômes signés de la main de Germain Hacquet[52]ont été conservé.

De même dans le fond maçonnique du Chapitre Phoenix se trouve également différents rituels des grades du rite d’York (américains) traduit en français[53].

  • Maitre Maçon de la Marque
  • Passé Maitre
  • Excellent Maitre
  • Arc Royal.

Dans une autre étude nous détaillerons ces rituels.

G. D.°. PZ

Annexe

Tableau du Souv\ Chap\ Le Phénix à la vallée de Paris du 2ème jour du 3ème mois 5806

Fm² 94 f15

fm 94f15

 

Tableau de la Loge « La Réunion des Cœurs Franco-américains » à l’Orient de Port aux Princes depuis le 27ème jour du 10ème mois de V\L\ 5790.

FM² 545 f1

FM 545 F1

 

Notes :

[1] Julien Hacquet – 1728- 31 mars 1796 (11 Germinal An IV). Pierre Mollier – Jean François Pinaud in « L’Etat-major maçonnique de Napoléon », Dictionnaire biographique des dirigeants du Grand Orient de France sous le Premier Empire.

[2] Demande de Passeport – Archives Nationale 1789-1818 – F7/3564 à 380.

[3] Sa 2ème épouse décèdera le 9 mai 1851 à Périgueux (Dordogne)

[4] Armand Édouard (née le 19 aout 1807) et Auguste (né le 11 septembre 1808)

[5] Dr Olivier – Gliech Domingino Verlag- Les Colons de St Domingue (1789) N° 318 Barbier Vve Savary.

[6] M de Saint Allais – Nobiliaire Universel de France, Tome XIII-1876. p 222.

[7] SHD/GR 20 YC 163

[8] Il épouse le 10 mars 1826 à Angoulême Jeanne Macheraud née le 15 juin 1796 à Rancogne (16) fils de Pierre Maurice cultivateur et de Marie Callaud.

[9] Créé en 1692 sous le nom de Régiment de Barrois, le Régiment de Port aux Princes, est, en 1772, issu de la Compagnie Ordinaire de la Mer créée en 1662. Chargé de servir sur les bateaux et dans les colonies, il est l’ancêtre des régiments d’infanterie de marine. Devenu le 110ème régiment d’infanterie pendant la Révolution, il fut dissous en 2014.

[10] Le Régiment de Port aux Princes est constitué de deux bataillons à huit compagnies de fusiliers et une de grenadiers comptant au total 1488 hommes. De 1779 à 1781, des détachements participeront à la guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Classé au 110ème rang dans l’Infanterie royale, il devient le 110ème Régiment d’Infanterie de l’armée de la République. La Révolution française voit le Régiment maintenir l’ordre dans l’île. De graves incidents eurent lieu et ont culminé avec l’assassinat de M. de Mauduit, le colonel du Régiment. Suite à ces événements, le Régiment est rembarqué pour la métropole.

[11] Le nom de Hacquet (sans prénom) apparait comme Notaire à Port aux Princes in La Revue d’Histoire des Colonies– Dépôt des Papiers Publics des Colonies – Saint Domingue, Notariat de A.Y. Bolloch & M.A Menier Tome 38 n°135 pp 339-358.

[12] Dans le tableau de la loge « La réunion des Cœurs franco-américains n°47 » à l’Orient de Port aux Princes de la Grande Loge de Pennsylvanie, Germain Hacquet est noté en 1790 avec pour qualité civile la profession de « Notaire » et dans celui de 1799 de la même Loge, celle de « Notaire Public » avec l’indication de ses Qualités Maçonniques à savoir « Rose Croix, Prince du Royal Secret, & Député Général Inspecteur », ce qui ne laisse aucun doute sur sa qualité de Notaire à cette époque.

[13] Léon Deschamps, Les Colonies pendant la Révolution, Librairie Académique Perrin- La guerre civile à St Domingue p. 257. Au bas de l’acte on trouve parmi les 83 signatures, celle de Hacquet, secrétaire des Blancs. Le concordat sera ratifié par l’Assemblée Législative le 5 avril 1792.

[14] Source Service Historique de l’Armée de Terre. Série 2 YE, dossier Hacquet.

[15] Archives Nationales – Collection Georges de Morand (XIIIe-XXe siècles). Inventaire analytique (AB/XIX/3410-AB/XIX/3461, AB/XIX/3535). Dossier 37 bis. HACQUET des NAUDIÈRES. Etat des services militaires de Germain Hacquet des Naudières, chevalier de l’Ordre de Saint-Louis, ancien major de cavalerie, ex-commandant de Dragons volontaires de l’armée royale anglo-émigrée à Saint-Domingue, né le 22 septembre 1756. 1 pièce. Début XIXème s.

[16] D’après le Nobiliaire Universel de France id.

[17] Planteur blanc du Cap Français marié à une noire libre créole Marie Fanchette Estève et qui ralliera les idées d’indépendance.

[18] Gordon S. Brown, Toussaint’s clause : The founding fathers and the Haitian revolution p 154.

[19] Affiche américaine de Saint Domingue n13 14 Pluviôse, an XI (3 février 1803) Hacquet nommé notaire à Port Républicain, par arrêté du Gal en chef Rochambeau.

[20] La bataille s’est déroulée à Vertières près du Cap-Français, le 18 novembre 1803. Elle opposa les troupes commandées par le général de Rochambeau et à celles du général Jean-Jacques Dessalines, chef indépendantiste, né esclave, et successeur de Toussaint Louverture. Ce fut la dernière bataille de l’Expédition de Saint-Domingue.

[21] S’ensuit en avril 1804 le massacre de 3 000 à 5 000 créoles hommes, femmes et enfants, ordonné par Dessalines.

[22] Archives Nationales F7/3564 Dossier BARRA

[23] The Supreme Council 33e of USA. The Statutes and Regulation, Institutes law and Grand Constitution of the A& ASR New-York – Macoy & Sickels-1862 – p18.

[24] Généalogie et Histoire de la Caraïbe n°164 Nev 2003 p 4009. Le 29 mars 1804

[25] Annals of Congress, 1793-1795, LC Law Library, « French Emigrants from St Domingo »

[26] Toll, Jean Barth and Gillam, Mildred S.  Invisible Philadelphia: Community Through Voluntary Organizations.  Atwater Kent Museum, c. 1995. Dallett, Francis James. « The French in Philadelphia: The French Benevolent Society of Philadelphia, » pps. 78-82.

[27] Titre exact : The Right Worshipful Grand Lodge of the Most Ancient and Honorable Fraternity of Free and Accepted Masons of Pennsylvania and Masonic Jurisdiction Thereunto Belonging.

[28] La coutume américaine veut que l’on ne soit pleinement maçon qu’au grade de maitre. Le passage d’apprenti à maitre se fait très vite, en quelques semaines, contrairement à l’usage continental. Le nom Hacquet n’apparait pas dans la charte constitutive ce qui laisse supposer qu’il aurait été initié dans cette Loge.

[29] Pierre Le Barbier Duplessis, Grand Secrétaire de la Grande Loge de Pennsylvanie, notaire à Philadelphie, en sera membre affilié libre.

[30] Albert C. Steven- The Cyclopedia of Fraternities. Hamilton Printing & Publishing Co – NY 1899 p 50. Germain Hacquet transmettra le titre à Mathieu du Potet en 1799 à Port Républicain (Port au Prince pendant la révolution française) qui le transmettra à Joseph Cerneau à Baraçoa en juillet 1806. De son côté, De Grasse Tilly créera deux SGIG 33ème : un à la Jamaïque avec Antoine Bideaud, l’autre avec Pierre Barbier Duplessis à Philadelphie, tous les deux en 1802.

[31] Appelé aussi « rite écossais de Heredom »

[32] Le rite d’Hérédom est intégré dès 1772 à la GL de France, le GODF ayant succédé à cette dernière en a recueilli tous les droits & prérogatives, et les prétentions de la GL de Clermont définitivement éteintes lors de la fusion en 1799. Le 24 décembre 1801, à la demande du Chapitre d’Arras, le GODF étend cette fusion à tous les Chapitres de sa correspondance.

[33] Fm3-132 – Le 20/08/1804 Grand Consistoire des Princes Maçons de toute la France (Heredom)

[34] Le Comte Alexandre François Auguste de Grasse, Marquis de Tilly (1765-1845), aristocrate et officier Français, ancien Frère de la Mère Loge Écossaise Saint Jean d’Écosse du Contrat Social (de son initiation en 1783 jusqu’en 1789), s’est installé à Charleston le 14 août 1795, réfugié de Saint-Domingue suite à la révolte des noirs. En mars 1802, de Grasse-Tilly quitte Charleston pour reprendre du service dans l’armée française à Saint-Domingue. Il a reçu préalablement du Suprême Conseil des lettres certifiant ses qualités de Grand Inspecteur Général, membre du Suprême Conseil et Grand Commandeur à vie pour les Isles Françaises des Indes Occidentales. A Saint-Domingue, de Grasse-Tilly établit le 31 mai 1802, avec l’aide de son beau-père Delahogue, le Suprême Conseil pour les Iles du Vent et sous le Vent à Port au Prince, puis après diverses pérégrinations, rejoint Charleston puis décide enfin de regagner la France; il débarque à Bordeaux le 29 juin 1804 avec sa famille. De Grasse Tilly était également porteur du 25ème du Rite de Perfection qu’il avait reçu de Hym Long à Charleston en 1796.

[35] Jean-Baptiste Marie Delahoque Paris (1744-1822) 33e – Souverain Grand Inspecteur Général – Charleston 1801. In Albert C. Stevens – The Cyclopedia of Fraternities, Hamilton Printing 1899.

[36] Troisième au monde après celui de la Juridiction Sud des États-Unis (1801), celui des Isles Françaises d’Amérique (Saint Domingue) (1802).

[37] Ce sont la Parfaite Union, La Réunion des Etrangers, Les Elève de Minerve, le Cercle Oriental des Philosophes et Saint Alexandre d’Écosse, ancienne Loge de Grasse Tilly et mère loge du régime écossais.

[38] Le Prince Louis Napoléon Bonaparte est investi de la dignité de Grand Maitre et de Grasse Tilly devient son député.

[39] Dans un souci d’universalisme de la Maçonnerie, le Comité Général qui est constitué à cette occasion considère «qu’il est important que le Rit écossais d’Heredom soit rigoureusement et scrupuleusement conservé dans tous les ateliers, les grades du Régime écossais étant les seuls connus dans les orients étrangers et ceux au moyen desquels les francs-maçons de tout l’univers peuvent correspondre et fraterniser, ceux du Rit moderne n’étant admis en aucun pays »

[40] Les membres des Loges & Chapitres créés par la Grande Loge Provinciale des iles sous le vent des Anciens Maçons d’York -dont Germain Hacquet en 1802 est le 1er Député Grand Maitre, quittent définitivement St Domingue en 1803.

[41] Ce qui suppose que Germain Hacquet avait été reçu au 33ème degré. Nous ignorons quand exactement.

[42] Signataires GODF (MONTALEAU, CHALLAN et BACON de la CHEVALERIE, Maréchal MASSENA, DOISY, DEFOISSY, ANGEBAULT, DUBOSQ, PAJOT Le, PAJOT le Jeune, MAUJERET et RISSÉ CAUBRAY),

la GLGE (Maréchal KELLERMANN, De GRASSE TILLY et PYRON. Membres honoraires de toutes les LL∴ et de tous les Chapitres de France) et LACÉPÈDE, HACQUET, GODEFROY de la TOUR d’AUVERGNE, De TROGOFF, THORY, BAILLACHE et MÉJEAN, affiliés libres de toutes les LL∴ et de tous les Chapitres de France.

[43] le 24 juillet 1805

[44] Robert Strathern Lindsay, The Royal Order Of Scotland, p90. Il s’agit des 24 chapitres créés par Jean Mathéus de Rouen avec une patente de la Grande Loge d’Edimbourg.

[45] Le Rite Ecossais d’Heredom ne prendra le titre d’Écossais Ancien & Accepté que lors de la création d’un autre Suprême Conseil en 1821, le « Suprême Conseil de France » sous la direction de De Grasse Tilly. Ce n’est qu’avec Albert Pike en 1859 que la Juridiction Sud du rite prit aussi cette dénomination (en anglais : Ancient Accepted Scottish Rite – AASR).

[46] The Supreme Council 33ème of USA. The Statutes and Regulation – p 20

[47] Pierre Mollier et Jacques Léchelle, « Les débuts du Rite Écossais Ancien Accepté en France » – In Renaissance Traditionnelle n°122, pp. 136-141

[48] En 1826 le Suprême Conseil des Rites devient le Grand Collège des Rites.

[49] En créant par exemple des loges symboliques pour les trois premiers degrés. Il est curieux de remarquer qu’aucune loge écossaise ne quittera le GODF pour rejoindre la nouvelle structure.

[50] Archives Départementales du Pas de Calais Fond 4E19/7. Jean François Delecourt Notaire à Arras depuis le 7 novembre 1776 était alors âgé de 53 ans en 1804. Ce frère est célèbre pour avoir communiqué à Claude Antoine Thory la fameuse « copie » de 1804, de la charte constitutive d’un supposé Chapitre Rose + fondé à Arras par Charles Edouard Stuart en 1745. Tous les historiens s’accordent aujourd’hui pour déclarer ce document comme apocryphe. Lire à ce sujet G. Bord p 396.

[51] Abraham, Le miroir de la Vérité Tome 1 Tableau Général des Loges de la Correspondance du GODF le 27ème jour du 10ème mois de la VL 1800. P 3

[52] Sur le tableau du Souverain Chapitre, Germain Hacquet exerce la profession de « négociant ».

[53] Fm4 501

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