Oralité

Pour nos cérémonies et en particulier celle d’avancement au grade de la marque, il est souhaitable d’apprendre le texte « par cœur » ou tout ou au moins d’y coller en esprit.

Je m’y suis attaché au minimum au moment des déambulations et la surprise était de constater que la contrainte de l’apprentissage « par cœur » me libérait lors du rituel car l’expression n’est plus figée dans une lecture, et la voix et la gestuelle prennent le pas pour offrir une force particulière au texte.

C’est cela qui ma conduit de vous offrir un court morceau d’architecture afin de réfléchir sur l’intérêt de cette pratique de l’oralité.

En commençant mes recherches, j’étais loin d’imaginer toutes les pistes de réflexion voire de méditation que ce sujet peut inspirer.

Aussi ce travail se présente justement sous forme de pensées qui comme la parole parfois se cadence et laisse apparaitre des moments de silences créateurs de vérités.

Ce sont ces vérités qui j’espère naîtront de vos réflexions au fur et à mesure des mots entendus.

Idéalement il aurait fallu que je dise cette planche, mais ne maîtrisant pas l’art de la mémoire

Je ferais donc le paradoxe de lire sur l’oralité.

Pour le M\M\M\ comme pour celui du rite émulation, l’oralité est un caractère essentiel. Cet apprentissage impose un travail permanent en dehors des tenues. En apprenant les FF\ participent déjà à l’harmonie de la future cérémonie.

Apprendre son rituel est un travail permanent et illimité car chaque Frère est amené à prendre de nombreux postes d’officier.

Ce travail de mémorisation est la prolongation de celui effectué en Loge. Cet apprentissage est une quête vers l’essentiel par le dépouillement.

Si nous acceptons l’idée que chaque mot est à sa place avec tout son sens et toute sa force, une lecture attentive régulière du rituel n’abêtit pas le maçon et n’affadit pas le texte qu’il apprend.

La couleur, le relief et la saveur des mots, leur sens profond et caché n’apparaîtront qu’après un long travail et après s’être soi-même effacé du quotidien.

Nous ne sommes pas là dans une vision dogmatique du mot mais dans un champ d’expérience spirituelle que nous offre l’étude du mot, de la manière de le transmettre, du souffle que nous modulons et des gestes que nous effectuons pour lui donner toute sa force.

La référence en termes de tradition orale est bien entendu l’Afrique.

On dit que « chaque vieillard qui meurt là bas est une bibliothèque qui brule ».

Pour l’africain, le verbe est créateur par la parole de Dieu qui est la force suprême, et le souffle humain continue cette création.

L’art et les clés de la tradition orale se nourrissent de :

  • L’intonation
  • De l’improvisation aisée
  • Du maniement des symboles
  • Du sens de la réplique
  • De la suggestion
  • Et du silence.

Dans notre pratique du rituel, l’intonation, la gestuelle, le rythme, le silence sont également des composantes importantes.

On parle de silence parce que l’oralité n’est pas que la parole, elle est aussi retenir la parole, c’est-à-dire ménager des silences subtils et importants qui sont autant d’ombres qui entourent la parole de mystère et qui la valorisent.

Le geste prolonge l’intonation, le rythme est l’expression de la vie et de la force. Source et à la fois effet de l’émotion.

Le rythme est ordonné dans son déroulement par le message qu’il communique .c’est celui du mythe véhiculé par le rite.

Le texte est souvent répétitif.

Redire les mots c’est renouveler la création même, c’est redonner force et vigueur au rite, c’est assurer sa pérennité.

Nos mots sont empreints de puissance créatrice, de sacré. Les renouveler, les déclamer, les vivre, c’est se mettre « au cœur même du sacré »

La parole créée l’émotion, celle-ci favorise la participation de l’auditoire.

il ne faut pas confondre émotion et sentimentalisme l’émotion est une force qui étreint et à laquelle nous participons tous.

Léopold Sedar Senghor disait « participer aux mots, c’est participer au jeu des forces vitales qui est l’expression du monde : de Dieu ».

L’émotion naît au détour d’un mot, d’un geste, dans la vibration du rythme.

L’auditoire accède ainsi au jeu des forces qui anime l’univers.

Par le truchement du verbe, déclencheur d’émotion l’homme accède au sens profond du monde, de son être, non pas par sa seule raison mais par son être total.

Il y a au cours de l’émotion une relation entre la sensualité et la rationalité.

On est alors en phase de compréhension de l’instant par son corps, par le rythme du sang qui bat dans le cœur.

L’auditoire ne comprends intellectuellement que ce que sa mémoire enregistre mais l’émotion instruit directement le cœur.

L’oralité dimensionne : La voix après intériorisation de la mémoire spatialise le message dans un lieu qui à des dimensions permettant la portée acoustique, « notre temple ».

L’oralité est un rapport entre le collectif et l’individuel et vice versa. La voix, et la mémoire forment une chaîne solidaire dans un « ici et maintenant ».

Dans cet échange le ton donné est également important il permet un jeu d’approche et d’appel, de provocation de l’autre.

Il véhicule la tragédie et l’enseignement du mythe.

La mémorisation permet dans la restitution de la parole une instantanéité, un jeu subtil de la transmission par le jeu du silence, de l’incantation, de la révélation, du secret.

Elle permet de mettre en situation un message plus librement que si l’on le lit.

L’oralité permet une infinie variété de manœuvre que n’autorise pas ou peu le texte lu.

La parole proférée plus libre est une œuvre de voix, elle peut en fonction du jeu phonique être un acte d’autorité, de nomination des choses, d’attribution de nom, de sacrement, et d’instauration de sens accompagné d’un jeu de force qui agit sur l’interlocuteur.

La voix est investie d’une matérialité, véritable force magnétique, la technique vocale est aussi importante que le texte véhiculé. Elle engage le corps comme véhicule de transmission.

Pendant un rituel elle crée donc une dimension spatio-temporelle qui est de l’ordre du sacré et participe de donner un autre sens à l’existence humaine.

Le chant est également une transmission orale du sacré et est également porteur d’émotion.

Le chant en commun est fédérateur et porteur d’un sentiment d’unité et d’appartenance.

Si l’Afrique est encore là un exemple, la transmission occidentale du sacré par le chant prend ses racines dans le chant grégorien.

Ce chant est une musique récitative, elle prend son origine dans le texte et favorise l’intériorisation et la conscience des paroles chantées. Ce chant est rythmé.

Les chants que nous pouvons pratiquer dans notre Loge sont des chants qui rassemblent, ils ont vocation d’harmoniser, ils sont chaîne d’union vibratoire plus que porteurs d’un enseignement.

La pratique de l’oralité dans nos rituels est donc une véritable alchimie qui a vocation de toucher l’être au plus profond et d’une manière plus efficace que la simple écoute d’un texte lu.

Que celui qui a des oreilles pour entendre entende…..

 

L\M\M\ « Les Opératifs – Germain Hacquet » – Carr\ de Paris

 

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