QUESTION ANNUELLE 2018 / 2019
Le thème de travail pour les années 2018 et 2019 portait sur le psaume 133 de la Bible de Jérusalem :
Ps 133 : 1 Cantique des montées.
De David. Voyez !
Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensembles !
Ps 133 : 2 C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques.
Ps 133 : 3 C’est la rosée de l’Hermon, qui descend sur les hauteurs de Sion ; là, Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais.
Voici la synthèse des différentes contributions que nous avons reçues :
Descriptif et Références Bibliques
Dans la Bible, les Psaumes viennent après les Prophètes et les livres prophétiques succèdent au Pentateuque. La position des Psaumes, après les prescriptions mosaïques et les prédications sur celles-ci faites par les prophètes, est significative. C’est une réponse de recueillement. Les Psaumes mettent en valeur la médiation.
Un Psaume est une forme d’écriture poétique et lyrique alors en usage en Israël. Ils sont de caractères différents, le 133 est dans un style laudatif.
Ps 133 : 1 Cantique des montées.
De David. Voyez !
Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensembles !
Cette séquence se situe dans l’instant présent et indique une démarche humaine constituée d’une pensée, d’une volonté et d’une action.
Le psaume 133 est ainsi celui des montées.
On se trouve ici dans le domaine des opposés : le peuple monte avec celui qui les représente et la sanctification descend : l’analogie est là relativement simple. Dans le cadre religieux, il suffit de monter pour trouver la sanctification.
Dans le domaine maçonnique, il s’agit de nous élever par la connaissance pour donner une signification aux savoirs. Ainsi, l’union fraternelle est scellée par un lien, un serment qui nous agrège à une communauté de sens et une reconnaissance de l’autre comme alter égo, semblable bien que différent.
Ps 133 : 2 C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques.
La tête représente le principe initial, le début. La barbe représente la vieillesse, l’âge, la sagesse. L’huile est le fruit du travail de l’homme qui a cultivé longuement. C’est simplement une allusion au temps humain.
Par ailleurs, celui qui monte est en effet reconnu par l’union autour de l’onguent, la lumière, qui coule sur lui.
Si dans un cadre religieux, cet onguent est celui du signe d’un don du dieu, pour le Franc-Maçon, l’onguent peut être interprété comme un symbole d’unité.
Ps 133-3 : C’est la rosée de l’Hermon, qui descend sur les hauteurs de Sion ; là, Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais.
Le mont Hermon, avec ses neiges éternelles, représente les « temps anciens ».
La première rosée est apparue entre les ténèbres primordiales et le premier jour de la Genèse. Elle contient les traces des premières manifestations spirituelles.
Deux images nous sont dévoilées : « huile » et « rosée ». Ces deux symboles sont les sujets du même verbe.
La triple répétition de ce verbe « descendre » crée un mouvement allant de haut en bas.
D’abord, c’est l’huile qui descend de la tête d’Aaron vers sa robe en passant par sa barbe, et puis la rosée qui descend du mont Hermon au nord jusqu’aux montagnes de Sion au sud.
Notons déjà que la rosée, comme l’huile sacrée, a quelque chose à voir avec le sacerdoce. En effet, elle est également liée à la responsabilité principale des prêtres : l’enseignement de la parole. La parole est comparée, dans le cantique de Moïse, à la rosée : « Que ma parole coule comme la rosée. ».
Selon le livre Moïse étant bègue, il est obligé de s’exprimer par l’intermédiaire d’Aaron son frère.
Ce ministère confié aux prêtres à partir d’Aaron est exercé plus tard à Sion. Sion est couronné par la capitale, Jérusalem, et cette couronne est ornée du temple.
La rosée suggère un autre rapprochement. En Esaïe 26/19, la rosée symbolise la résurrection et l’immortalité : « Tes morts revivront, leurs cadavres ressusciteront. Réveillez-vous, criez de joie, vous qui demeurez dans la poussière ! Car ta rosée est une rosée de lumière et la terre aux trépassés rendra le jour. » La rosée fait revivre la terre.
L’eau dans la Bible revêt parfois une dimension supérieure à la lumière, ce qui est également tangible dans diverses religions. Ainsi, les rites d’ablutions se pratiquent encore de nos jours, comme l’immersion rituelle dans les eaux du Gange en Inde.
Pour les alchimistes, la rosée est un dissolvant destiné à révéler l’Esprit universel. C’est pour cette raison qu’ils la récoltent précieusement.
La fraternité est comparée aux bienfaits de l’huile et de la rosée. Ces deux liquides fluides sont déversés sur la tête, la barbe, les épaules et le vêtement d’Aaron. Ils émanent d’au-dessus de lui. Lorsque Aaron en est baigné, le ruissellement qui en résulte scelle une alliance entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, entre le spirituel et le temporel.
La purification du corps et de l’esprit (ici ceux d’Aaron) par les éléments consacrés (huile et rosée) est le symbole de l’homme qui renaît, marque le passage du profane au sacré, de l’horizontalité vécu de la fraternité, indissociable de la transcendance, c’est-à-dire la verticalité.
Ce thème venu du cantique des cantiques, cet appel à l’amour fraternel, traverse les siècles et reste toujours d’actualité en maçonnerie.
À propos de l’huile, notons que dans les pays arides où ont été rédigés ces textes, elle revêt une importance capitale.
Obtenue par la pression de l’olive, fruit d’un arbre qui pousse à foison malgré le climat, l’huile est utilisée pour l’alimentation, l’éclairage, l’entretien du feu. Dans l’antiquité, il était d’usage de faire fondre sur sa tête des cônes huileux parfumés pour s’entourer d’odeurs agréables, se détendre ou honorer ses hôtes. L’onction d’huile est une pratique religieuse encore utilisée de nos jours. N’oublions pas que le mot « christ » signifie étymologiquement « oint » (du seigneur).
Revenons à la rosée de l’Hermon afin de souligner son lien avec l’huile. Elle descend, par vent favorable, jusqu’à ces montagnes. Dans cette région du monde, à défaut de pluie de la fin avril à la fin octobre, la rosée est une source très importante d’humidité. Elle facilite les récoltes de l’été. Elle permet la culture sèche (dates, figues, raisins secs). La rosée fait prospérer la vigne et entretient les pâturages pendant la sécheresse.
Puisque la rosée fructifie et vivifie, elle est à juste titre considérée comme un symbole de félicité, comme l’huile.
David a également comparé l’unité de croyants à la rosée d’Hermon qui est descendue sur les montagnes de Sion. A près de 3000 mètres d’altitude, le mont Hermon est de loin la plus haute montagne de la région libano-israélienne.
La fonte des eaux constitue la principale source du Jourdain. La neige sur la montagne condense les vapeurs pendant la période estivale et cette condensation provoque une rosée qui la recouvre alors que le reste du paysage ressemble à un désert. Un des sommets de la montagne est appelé Abu-Nedy ou père de la rosée.
Cette emphase sur la « descente » des symboles souligne le fait que la symbolisation, en l’occurrence l’unité de ces frères, ne vient que d’en haut, en conséquence de l’esprit, de la tête, siège de la connaissance. Et c’est également une louange aux bienfaits de la fraternité. La concorde apporte la sérénité à tous les intéressés.
Ce thème venu du cantique des cantiques, cet appel à l’amour fraternel, traverse les siècles et reste toujours d’actualité en maçonnerie.
Qu’est-ce qui est « si bon » ? La réponse réside dans l’activité de ces frères. Alors, que font- ils ? Ils sont tous ensemble mais faisant quoi ? Ils habitent.
Et qui sont-ils ? Les interprétations le plus souvent admises, par ordre de rétrécissement sémantique, veulent que ce soient les frères israélites, ou les frères d’une tribu ou d’un clan, ou même les frères fils d’un même père. Il se peut pourtant que ces frères soient « frères-prêtres ». « Frères » se réfèrent dans nombre de textes, ainsi que nous l’avons déjà évoqué, aux collègues dans le ministère sacerdotal, à savoir les pasteurs prêtres.
Dans le contexte immédiat, une comparaison est établie avec l’onction d’Aaron, l’ancêtre de la classe sacerdotale. Ceci établit un lien entre ces frères et ce prêtre-père et donc de fait ce sont des initiés. En conséquence, ils sont d’une même communauté spirituelle.
Notons-le bien, Aaron est un prêtre et non un prophète. La fonction du prêtre : une personne consacrée, au service, rassembleur. Sa mission : être la passerelle entre les hommes et Dieu, c’est un médiateur. Aaron est le porte-parole. On n’attend pas de lui une vision ou qu’il exerce un quelconque commandement, on attend de lui que sa parole soit impeccable. C’est-à-dire une parole précise et d’une tenue parfaite. Rappelons que le prêtre Esdras est de la descendance d’Aaron.
Le sens que l’on peut tirer du texte
Par analogie, nous interrogeons le poids de l’exaltation née dans un contexte collectif, conduite par une unité
de pensée, une concentration spirituelle. Par son étymologie, le mécanisme religieux nous associe à tout ce qui relie (« religare » signifiant en latin relier, c’est le sens d’une religion) des individus ayant une communauté spirituelle.
Une lecture adogmatique, donc areligieuse, interroge le sens du groupe. L’adogmatisme redéfinit la dimension du collectif, du groupe, autour de la dimension ontologique c’est-à-dire de l’étude de l’être humain et donc de ce qui relie les Hommes.
Pour le Franc-Maçon, la dimension ontologique rejoint la définition de la Concorde Universelle en proposant un chemin qui conduit à s’interroger sur soi et ses rapports à l’autre dans un cadre identitaire (qui suis-je à mes propres yeux, qui suis-je aux yeux des autres et comment je pense que les autres me voient).
Néanmoins, former un groupe n’est pas suffisant, il faut être ensemble.
Le psaume lie chacun des membres du collectif à une seule personne, ici le dieu hébreu.
Le Franc-Maçon préférera trouver ce « un » comme étant le symbole de l’unité visant le rassemblement de tout ce qui est épars. La conception maçonnique du groupe doit interroger la signification du terme « ensemble ». Il se rapproche du concept d’unité, laquelle est évoquée par le terme « ensemble ».
Le psaume met en exergue qu’il ne suffit pas de se rassembler, il faut aussi communier au sein d’un groupe pour former un ensemble cohérent. Le groupe des Francs-Maçons est caractérisé par la rencontre entre le haut et le bas, à l’instar de ce qui est proposé dans le psaume. Faut-il penser que c’est dans la symbolique de l’« ensemble » que se définit une unité construite par chacun ?
Il est intéressant de constater que ce psaume s’inscrit comme complémentaire du précédent. On ne se trouve plus ici « en chemin », mais à l’aboutissement de ce chemin. Le Franc-Maçon trouvera sur ce chemin finissant l’expression de son idéal utopique, formalisé par la Concorde Universelle.
Il y a de ce fait dans ce psaume l’approche de ce que pourrait être la finalité de cette Concorde Universelle qui se situe entre le rassemblement, l’unité et la possibilité de rattacher tous les maillons épars sur le chemin. On assiste là à une restructuration d’un monde sorti du chaos.
Parallèlement est mis en scène le mécanisme trinitaire de la construction de l’équilibre des mondes, aspect cher au Franc-maçon. Si le peuple rassemblé forme le socle, l’Elu conduit vers les hauteurs, et ce qui est en haut donne la direction.
En « montant », celui qui est désigné comme l’Elu par le fait de porter les habits sanctifiés est issu d’un intérieur, tel le profane remonte du Cabinet de réflexion. En s’approchant du sommet, il rejoint l’eau purificatrice (la rosée venue du plus haut mont du Liban). Il suit le chemin de l’initié car en remontant il vient trouver la lumière, tel l’initié sorti de l’épreuve de la terre. La métamorphose produite par cette extraction des ténèbres donne le sens à l’initiation où l’impétrant passe des ténèbres à la lumière. En remontant vers le sommet, il montre qu’il a acquis la possibilité de faire le chemin et de ce fait de redistribuer son savoir, à condition d’avoir pris ses connaissances dans le chemin spirituel du mécanisme ternaire.
Ce psaume est un hymne à l’unité construite autour d’un chemin à prendre en commun et à vivre pour une même finalité. La spiritualité de la Franc-Maçonnerie est de reposer sur une intention adogmatique, c’est-à-dire dépourvue de tout sectarisme et en d’autres termes, proposant une porte plus étroite car construite autour d’une synthèse mais, en même temps, qui va s’élargir par la suite pour faire de l’Homme l’être libre dans son monde. Les aspects herméneutiques, ici brièvement évoqués, montrent que la spiritualité fait référence à une construction autant interne qu’externe mais, à défaut d’un renvoi vers un dieu, repose sur une conception ontologique de l’Homme, c’est-à-dire sa valeur universelle dans l’histoire de l’humanité.
Au sens laïc du terme, Dieu peut représenter tout espace sacré intérieur. C’est en cela que le texte biblique ouvre une dimension universelle. Nous y voyageons intérieurement et pouvons y trouver des sources de progrès infinies.
Dans le texte particulier qui nous est donné à étudier se trouvent des notions de fraternité, de bénédiction et d’éternité.
Ce psaume célèbre la fraternité dans un lieu préservé… Ainsi le Temple maçonnique.
Le medium de la communication est l’huile et son viatique est la rosée. La fraternité reste le témoignage de ce que l’esprit peut apporter aux hommes. La fraternité est comme une parcelle de la vérité à laquelle chacun peut accéder.
Le psaume133 reprend donc l’idée d’une médiation entre ce qui nous dépasse et ce qui nous est contingent.
L’amour fraternel reste un idéal à renforcer dans le monde violent qui nous entoure. C’est une utopie vers laquelle on doit tendre. Ce que nous indique le texte afin de surmonter les épreuves, c’est qu’il est nécessaire que chacun de nous œuvre à l’unité, à l’amour avec l’humilité.
Concrétiser la relation fraternelle, c’est témoigner de ces sentiments qui parfois nous dépassent et c’est participer à ce dépassement, cette permanence dans le mode relationnel.
Entre équerre et compas, le chantier est toujours ouvert !
Si les espaces de médiation se développent dans nos sociétés, il reste beaucoup à faire pour regarder l’autre au-delà du prisme déformant de l’altérité, des craintes qu’il fait naître, des haines qu’il induit, des guerres qu’il alimente.
Alors que les inégalités causent des fractures sociales sans précédent, que les familles éclatent, que l’individualisme fait des ravages, c’est dans la solidarité que nous pouvons aujourd’hui témoigner de nos fraternités.
Alors que des guerres intestines ou déclarées ravagent la planète, que des despotismes sont à l’œuvre dans le monde, que le terrorisme déploie ses ailes sombres, que croissent les idées rétrogrades prônant la vanité du quant à soi, c’est en agissant dans les valeurs de notre devise que nous pouvons faire preuve de fraternité.
L’actualité du thème
Un franc maçon du Grand Orient de France et qui plus est de la Juridiction de l’Ancienne Maçonnerie d’York Maçonnerie de la Marque et de l’Arc Royal, se doit tout entier à la défense et à l’action de la fraternité.
Cette image de l’union fraternelle est comme l’huile qui est versée sur notre tête.
On peut d’abord penser que cette huile est un parfum : autrefois les parfums n’étaient pas dissous dans de l’alcool comme aujourd’hui mais dans de l’huile.
On peut dire ainsi que l’amour fraternel est une merveille qui nous est donnée, comme un parfum qu’on verse sur notre tête. Ou que si c’est nous qui aimons, cet amour fraternel parfume notre vie. Savoir être en union fraternelle, donner, partager, se donner rendent notre vie de « bonne odeur, » alors même qu’elle est, bien sûr, imparfaite et pas toujours merveilleuse.
Cette huile de bénédiction, cette « bonne huile » ruisselle, nous dit le psaume, de la tête jusqu’à la barbe. En hébreu le mot « Rosh » qui désigne la « tête » signifie également le « commencement », ou la « jeunesse ».
Et le mot « Zaqen » traduit par « barbe » signifie également la « vieillesse ».
Nous pouvons donc dire que c’est toute la vie qui est illuminée par l’amour fraternel. On peut le vivre et en bénéficier à tout âge, de la plus tendre enfance à la vieillesse la plus avancée, c’est là que se trouve le secret universel du bien, du bonheur, de la bénédiction et de l’Eternité.
Ce Psaume 133 va alors très loin, nous montrant que tout cela se trouve aussi dans la relation fraternelle avec l’autre. L’union fraternelle est source de lumière, de nourriture et de vie dans nos existences.
En guise de fin provisoire de cette réflexion, imaginons mes Frères que ces mêmes personnes qui observaient la scène de la montée de ce défilé chantant et qui s’écriaient :
« Voyez qu’il est bon et qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble »,
Demandons-nous s’ils venaient dans nos rangs, nous maçons du 21ème siècle, quelles métaphores prendraient-ils pour décrire l’émotion qui les submerge ?
Diraient-ils que la fraternité que nous vivons et que nous donnons à voir :
« C’est comme l’huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques » ?