Aperçu historique sur les « Side-degrees »

Le propos de cet exposé est de présenter un « survol » des systèmes maçonniques pratiqués en Angleterre – au-delà – des 3 premiers grades symboliques.

Nous nous limiterons à l’Angleterre, même si nous serons parfois amenés à parler de l’Irlande, de l’Ecosse, de la France ou d’autres Orients encore.

Nous ne pourrons pas aborder ici les spécificités de toutes ses constitutions elles sont parfois très différentes.

Tous les systèmes possèdent naturellement un ensemble de grades au-delà des 3 premiers. Comme si le génie maçonnique d’un rite ne pouvait se satisfaire de 3 grades pour s’exprimer…

  • Le Rite Ecossais Rectifié continue avec Maître Ecossais de Saint-André, Ecuyer Novice, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte et plus… ;
  • Le Rite Français possède 4 voire 5 Ordres après les 3 premiers grades ;
  • Le Rite Ecossais Ancien Accepté : 33 degrés ;
  • Le Rite de Memphis-Misraim 33 grades mais peut monter jusqu’à 99 grades. Champion toutes catégories !
  • Le Rite Swedenborg : 6 grades ;
  • Le Rite Suédois : 12 grades ;
  • Le Rite Brésilien (!): 33 degrés…

L’Angleterre, comme les autres pays possède aussi des systèmes maçonniques « beyond the craft » (au-delà du Métier).

En Angleterre on ne parle pas de Hauts Grades, c’est une expression typiquement continentale, d’ailleurs les anglais eux-mêmes lorsqu’ils parlent de nos Hauts Grades (le plus souvent ceux du Rite Ecossais Ancien Accepté), ils parlent de High Degrees, mais pour les grades anglais au-delà du 3ème grade, ils parlent d’additionnal degrees, d’extra-craft degrees, de Side-degrees.

En fait le terme de Side-degrees n’est pas le plus usité, mais en France le terme de Side-degrees a bien plu parce qu’il est assez explicite. Il montre bien que ces grades sont « à côté » et non « au-dessus ».

C’est un concept que l’on n’a pas réellement en France, le concept de craft, c’est-à-dire de métier.

Pour les anglais, la maçonnerie, ce sont les 3 premiers grades et les 3 premiers grades seulement !

Et les anglais, faisant référence au Métier, ont un terme pour cela :

  • The Craft, le reste : c’est beyond the Craft !

Tous ces grades sont des grades complémentaires, ils viennent abonder, éclairer les 3 premiers grades, et en tout cas ils ne se situent pas au-dessus !

Ce concept est important à retenir car il détermine une véritable différence dans la manière d’aborder ces grades entre l’Angleterre et les pays anglo-saxon en général et le Continent.

D’ailleurs, à leurs débuts, tous les hauts grades que nous connaissons n’étaient pas si ‘hauts’, ils ne furent « codifiés » ainsi, parfois de façon très arbitraire, qu’au XIXème siècle pour la plupart.

Le XVIIIème siècle fut très prolifique en création de grades, c’est le moment où la plupart de ceux-ci sont apparus. Le temps les a ensuite solidifiés et furent souvent « intégré » dans un ou plusieurs systèmes.

Alors pourquoi une telle floraison de grades à ce siècle ?

En fait, pour la plupart de ces grades, il ne s’agit pas d’inventions à proprement parler mais plutôt d’émergences de pratiques différentes, de légendes n’ayant pas été retenues par les systèmes du moment et qui se constitueront en grades pour pouvoir exister.

En Angleterre au XVIIIème donc, comme partout où la maçonnerie s’est installée (France, Allemagne, toute l’Europe, mais aussi les Etats-Unis), les grades vont fleurir.

Pourtant, il va falloir compter avec une composante qui va aller grandissant dans le siècle :

La « Grandelogisation » de la Maçonnerie va créer des structures de pouvoir, elles vont vouloir contrôler cette Maçonnerie ; Quitte à provoquer un affrontement !

Ce sera le cas avec les Grandes Loges des Antients et les Modernes. Elles s’affronteront pendant près de 70 ans. Retenons l’exemple de l’Arche royale. Les modernes s’opposeront farouchement à l’Arche Royale promue par les Antients, mais cela n’empêchera pas de nombreux grands officiers des modernes à fréquenter des Chapitres de l’Arche Royale.

Nous voyons bien que cette réprobation est plus affaire de contrôle et de pouvoir qu’un problème purement maçonnique.

Les pratiques « différentes » vont forcément avoir de plus en plus de mal à trouver leur place.

Et cela sera encore moins facile avec l’arrivée du Duc de Sussex, grand architecte de l’union de 1813 au poste de Grand Maître de la Grande Loge (désormais) Unie d’Angleterre qu’il mènera d’une main de fer durant 30 ans.

Cette Union des deux Grandes Loges de 1813 va avoir, non seulement une influence profonde sur les grades bleus anglais, mais aussi sur tous les autres grades pratiqués en dehors des trois symboliques (bleus).

Relisons l’article 2 des Articles de l’Union de 1813,

« La pure et Ancienne Maçonnerie consiste en trois grades et pas plus, c’est à dire ceux d’Apprenti Entré, de Compagnon du Métier et de Maître Maçon y compris l’Ordre Suprême de la Sainte Arche Royale.

Cet article n’a pas pour intention d’empêcher une Loge ou un Chapitre de tenir une réunion à quelque grade que ce soit des Ordres de Chevalerie selon les constitutions des dits Ordres »

Voici un article qui paraît très consensuel, dans la mesure où l’on intègre par un tour de passe-passe rhétorique, l’Arche Royale aux 3 premiers grades et semble autoriser la pratique des grades chevaleresques.

La réalité est toute autre.

Si l’Arche Royale va effectivement bénéficier d’un régime de faveur, tel ne va pas être le cas des autres grades. En lisant bien cet article, on comprend bien que ceux-ci ne font pas partie de « la pure et ancienne Maçonnerie »

Mais ce qui n’est pas dit, c’est que le Duc de Sussex a décidé de les mettre sous le boisseau.

Comment ?

Simplement en devenant (aussi) le « Grand Superintendant of the Grand Conclave of Knights Templar » et en ne réunissant ce Grand Conclave qu’une fois en 30 ans.

D’autre part, en plaçant des hommes à lui partout où cela était possible pour contrôler la plupart des autres grades.

Pourquoi ?

La manœuvre du Duc de Sussex est claire :

  1. Après plus de 60 ans de luttes fratricides entre le 2 Grandes Loges rivales et d’interminables négociations pour aboutir à un accord, il est impensable, maintenant que la Maçonnerie a retrouvé une unité, de perdre un soupçon de contrôle sur l’ensemble des activités.

Le Duc de Sussex aura donc toutes les manettes en main. Toutes !!!

  1. En ce début de XIXème siècle, l’heure est au rassemblement.

Le Royaume Uni a vu le jour en 1801 et regroupe désormais l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande. Une union difficile mais enfin réalisée.

Par ailleurs, grâce à son empire colonial, le Royaume-Uni devient la nation la plus puissante au monde.

Nous avons donc d’un côté, un royaume fraîchement uni regroupant, anglicans, presbytériens et catholiques, tous chrétiens, mais avec des interprétations parfois tout à fait différentes du Nouveau Testament.

De l’autre, un Royaume en pleine expansion coloniale, englobant sous sa bannière : juifs, musulmans, sikhs, bouddhistes et hindouistes.

Il n’est pas concevable que la Maçonnerie puisse être un ferment de désunion. Au contraire.

Le Duc de Sussex va donc à la fois « déchristianiser » les rituels partout où il le peut, couper les « ailes » de tous les grades « indéchristianisables » y compris les grades chevaleresques (avec aussi ceux du Rite Ecossais Ancien Accepté dont il demandera et obtiendra une patente – française – pour la Grande Bretagne. Il la laissera de même en sommeil).

Les références maçonniques seront désormais partout exclusivement vétérotestamentaires, ceci étant plus acceptable par tous.

On insistera, alors, sur la croyance en un Grand Architecte « indenominational », ouvrant ainsi la porte des loges à toutes les composantes du Royaume-Uni et de son Empire.

Quand le Duc de Sussex décédera en 1843, il laissera une Maçonnerie anglaise forte et unifiée. Son but était atteint.

Le comte de Zetland lui succèdera pendant 26 ans à la Grande Maîtrise. Il conservera globalement une ligne fidèle à son prédécesseur. La Maçonnerie anglaise étant désormais plus solide, elle était prête à laisser un peu de place aux nombreux grades qui vont désormais s’organiser en structures indépendantes, sous le regard désormais bienveillant (mais toujours vigilant) de la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA).