Psaume 133 – Contribution DRL Le Bon Plaisir

Psaume 133
La maçonnerie se développe dans le courant du XVIIIème siècle, ce siècle des lumières auxquelles elle réfère toujours.
A cette époque VOLTAIRE1 écrivait : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant. ».

Comme si le philosophe sulfureux de ce siècle répondait au thème de la question de l’année reprenant le psaume 133
« 1 Cantique des montées de David. Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensembles !
2 C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques.
3 C’est la rosée de l’Hermon, qui descend sur les hauteurs de Sion ; là, Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais. »

Ce thème venu du cantique des cantiques, cet appel à l’amour fraternel, ce hors d’œuvre, œuvre d’or du Psautier, traverse les siècles et reste toujours, comme notre maçonnerie, d’actualité. Le psaume 133 est intégré dans les rituels du 1er degré du rite d’York. C’est aussi la prière quotidienne des chevaliers de l’Ordre du Temple.

Nous trouvons dans ce psaume une référence biblique qu’il sera toujours utile d’explorer avant d’en analyser le sens et ses incidences séculaires.

I La référence biblique
Dans les livres du Psautier, 15 cantiques sont dits « des montées » et sont en rapport avec la route vers Jérusalem2.
Aaron est le frère ainé de Moïse (il a 3 ans de plus3). Il est né en Egypte et fait partie de la tribu de Lévi. Son nom, selon les racines hébraïques, arabes et grecques signifie « haut placé », ou « éclairé »4. Il est peut-être aussi d’origine égyptienne5 et signifierait alors « le nom de Dieu est grand ». Aaron est donc un personnage important.
Selon le texte Moïse étant bègue, il est enjoint de s’exprimer par l’intermédiaire d’Aaron. Exode 4 –16 : « C’est lui qui parlera au peuple pour toi et c’est lui qui te servira de bouche, tandis que toi tu seras pour lui comme un Dieu »6.

Sur le Sinaï, Aaron est aux côtés de Moïse pour organiser la délivrance du peuple hébreux du joug de l’esclavage en Egypte. Exode 7-1,2 «Yahvé dit à Moïse : Vois, j’ai fait de toi un Dieu pour Pharaon ; et Aaron, ton frère, sera ton prophète. Toi, tu diras tout ce que je t’ordonnerai et Aaron, ton frère, parlera à pharaon pour qu’il renvoie les fils d’Israël de son pays. ».
Alors arrivent les manifestations miraculeuses7 que nous connaissons tous : Aaron change son bâton en serpent, puis met en oeuvre les 7 plaies d’Egypte8. Il est patent qu’Aaron prend part à toutes ces manifestations divines avec la confiance de son frère, sous le regard de Dieu.

Le texte biblique rapporte ensuite que, pendant la longue route vers la terre promise, Moïse part chercher les tables de la loi. Pendant son absence, Aaron et le peuple hébreux, ne le voyant pas revenir, sacrifient à une idole, le veau d’or, élaboré avec le métal fondu de tous les biens disponibles.
Lorsque Moïse revient avec les tables de la loi, sa colère sera si grande qu’il les brisera. Néanmoins il pardonne à son frère, et en fera même le premier grand prêtre.

L’épitre aux Hébreux V-4 rappelle le rôle de Tout Grand Prêtre : « personne ne s’arroge cet honneur, on y est appelé par Dieu comme le fut Aaron ».

Le Coran évoque aussi Aaron. Mais pour ce texte, celui qui a construit le veau d’or s’appelle As-Sâmiriy (le samaritain). Aaron (en arabe: haroun) n’a pas participé à ce culte. L’amour fraternel est aussi mis à l’honneur chez les mystiques :
« La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’Amour est ma religion et ma foi »9

Bien avant les religions dites du Livre, le Zoroastrisme évoque le thème : le bonheur appartient à celui qui rend les autres heureux.10°

Dans le psaume qui nous est soumis, Aaron est donc une figure emblématique de la fraternité, de la médiation divine, et confirme la valeur universelle et permanente que peuvent représenter ces notions.


2 Le sens que l’on peut tirer du texte

Au sens laïque du terme, Dieu peut représenter tout espace sacré intérieur. C’est en cela que le texte biblique nous ouvre un espace universel. Nous y voyageons intérieurement et pouvons y trouver des sources de progrès infinies.

Dans le texte particulier qui nous est donné à étudier se trouvent des notions de fraternité, de bénédiction et d’éternité.
Rappel : « 1 Cantique des montées de David. Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensembles !
2 C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques.
3 C’est la rosée de l’Hermon, qui descend sur les hauteurs de Sion; là, Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais. »
Ce psaume célèbre la fraternité dans un lieu préservé. Le medium de la communication est l’huile et son viatique est la rosée. La fraternité reste le témoignage, le résidu de ce que Dieu a donné aux hommes : le pouvoir de regarder l’autre et de l’aimer. La fraternité est comme une parcelle de la Parole, à laquelle chacun peut accéder.

La fraternité est comparée aux bienfaits de l’huile et de la rosée. Ces deux liquides fluides sont déversés sur la tête, la barbe, les épaules et le vêtement d’Aaron. Ils émanent d’au-dessus de lui. Lorsqu’Aaron en est baigné, le ruissellement qui en résulte scelle une alliance entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, entre le spirituel et le temporel. La purification du corps et de l’esprit (ici ceux d’Aaron) par les éléments consacrés (huile et rosée) est le symbole de l’homme qui renait, marque le passage du profane au sacré, de l’horizontalité vécu de la fraternité, indissociable de la transcendance, c’est-à-dire la verticalité.

Dans les pays arides où ont été rédigés ces textes, l’huile revêt une importance capitale. Obtenue par la pression de l’olive, fruit d’un arbre qui pousse à foison malgré le climat, l’huile est utilisée pour l’alimentation, l’éclairage, l’entretien du feu. Dans l’antiquité, il était d’usage de faire fondre sur sa tête des cônes huileux parfumés pour s’entourer d’odeurs agréables, se détendre, ou honorer ses hôtes. L’onction d’huile est une pratique religieuse encore utilisée de nos jours. N’oublions pas que le mot « christ » signifie étymologiquement « oint ».11

L’eau est pour sa part essentielle à la survie de l’homme. Les cours d’eau, les sources ont souvent été sacralisés. L’homme ne peut vivre sans boire : l’eau sert à sa toilette, son hygiène, ses plantations. L’eau de la rosée apparaît au matin et rafraichit la nature. Cette eau, apparue de nulle part, est ici comprise comme un élément purifiant, vivifiant et régénérateur. N’oublions pas que dans la Genèse (1,1) « l’esprit d’Elohim planait au-dessus des eaux », reconnaissant ainsi à l’eau, de façon induite, sa primauté sur le reste, notamment la Lumière.
Dans le Coran – qui cite le mot eau « ma » 63 fois -, un seul et unique élément insuffle la vie au monde : l’eau. « A partir de l’eau, Nous avons constitué toute chose vivante » déclare ainsi la Sourate des Prophètes (21-30).
Les rites d’ablutions se pratiquent encore de nos jours, comme l’immersion rituelle dans les eaux du Gange en Inde.
Pour les alchimistes la rosée est un dissolvant destiné à révéler l’Esprit universel.

Cette comparaison avec la rosée nous amène à « Sion », la terre promise, que nous pouvons ici comparer à l’espace dédié à la fraternité. C’est, grâce à la bénédiction venue d’en haut que peut survenir « la vie à jamais », locution qui termine le psaume 133. Nous pouvons rappeler Esaïe XXXVI-19 qui associe aussi la rosée à l’immortalité : « Réveillez-vous et poussez des acclamations, habitants de le poussière ! Car ta rosée est une rosée lumineuse et la terre accouchera des ombres.» ;

Le psaume133 reprend donc l’idée d’une médiation entre ce qui nous dépasse et ce qui nous contingente.

3 L’actualité du thème

L’amour fraternel reste un idéal à prôner dans le monde sordide qui nous entoure. Il est une utopie que l’on doit essayer de réaliser. Les conditions que nous montre le texte pour réaliser le challenge appellent chacun à l’unité, à l’amour et à l’humilité.
Pour garder la référence aux textes sacrés revenons à la première épître de Jean III-14 « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères… ». Le sens de l’éternité que cette épître suggère n’est pas du domaine temporel, mais spirituel. Partager la fraternité, concrétiser la relation fraternelle avec l’autre, c’est témoigner de ce sentiment qui nous dépasse, et c’est participer à ce dépassement, cette permanence dans le mode relationnel.
Entre équerre et compas, le chantier est toujours ouvert !
Si les espaces de médiation se développent dans nos sociétés, il reste beaucoup à faire pour regarder l’autre sans le prisme déformant de l’altérité, des craintes qu’elle fait naitre, des haines qu’elle induit, des guerres qu’elle alimente.
Alors que les inégalités causent des fractures sociales sans précédent, que les familles éclatent, que l’individualisme fait des ravages, c’est sous le couvert de solidarités que nous pouvons aujourd’hui témoigner de nos fraternités.
Alors que des guerres intestines ou déclarées ravagent la planète, que des despotismes sont à l’oeuvre dans le monde, que le terrorisme déploie ses ailes sombres, que croissent les idées rétrogrades prônant la vanité du quant à soi, c’est en agissant dans les valeurs de notre devise que nous pouvons faire preuve de la fraternité qui fait cruellement défaut à une grande partie de l’humanité.
Prenons exemple sur Gandhi qui eut le courage de saluer son assassin avant de tomber !

Un franc maçon du Grand Orient de France, et qui plus est de la Juridiction de l’AMMYMAR, se doit tout entier à la défense et à l’action de la fraternité.
Aussi bien l’enseignement de cette part de notre devise a bien traversé les siècles depuis la rédaction du psaume 133 !

Que trouver de mieux pour conclure ce travail que de référer à un beau discours de prix Nobel pour illustrer ce combat au service de la fraternité toujours d’actualité ?
« Tôt ou tard, tous les hommes du monde devront découvrir le moyen de vivre pacifiquement les uns avec les autres et de transformer ainsi notre lamentation cosmique en un psaume novateur à la fraternité.
S’il faut y parvenir, l’humanité doit imaginer, pour résoudre tous les conflits entre les hommes, une méthode qui exclut la vengeance, l’agression et les représailles. Le fondement de cette méthode est l’amour.
Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure.
Je refuse de croire que l’être humain n’est qu’un fétu de paille ballotté par le courant de la vie, sans avoir la possibilité d’influencer en quoi que ce soit le cours des événements.
Je refuse de partager l’avis de ceux qui prétendent que l’homme est à ce point captif de la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre que l’aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir une réalité…
Je crois que la vérité et l’amour sans condition auront le dernier mot. La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort. Je crois fermement que, même au milieu des obus qui éclatent et des canons qui tonnent, il reste l’espoir d’un matin radieux. ».
Martin Luther King12

BIBLIOGRAPHIE

LA BIBLE – édition de la Pléiade
LA BIBLE et LE CORAN – l’anthologie du savoir – CNRS EDITIONS
LES GATHAS – traduction Khosro Khazai Pardis – Spiritualités vivantes – Albin Michel

NOTES

Prière de Voltaire écrite à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763)
2 Psaumes 120 à 134, intitulés chacun shîr hamma’alôt, « cantique des montées » (montée du pèlerinage à Jérusalem, montée d’Egypte incluant la conquête, montée d’exil à Babylone, montée eschatologique)
3 Exode 7 -7 Moïse était âgé de 80 ans et Aaron de 83 ans lorsqu’ils parlèrent au pharaon.
4 hébreu : אַהֲרֹן aharone, arabe : هارون Hārūn, grec ancien : Ἀαρών
5Egyptien ‘Ȝn, «le nom (du dieu) est grand »
6 Les citations bibliques sont extraites des textes de la Pléiade
7 Exode 7 à 12
8 Exode (suite) Eau en sang, invasion de grenouilles, de moustiques, de mouches venimeuses, destruction des troupeaux, épidémie et enfin destruction par la grêle et la foudre
9 Ibn ARABI (1165 – 1240) – traité de l’Amour
10 Gathas – Chant VIII – Yasna 43 : Zoroastre demande à Ahura Mazda de lui donner « la force du corps et de l’âme pour que, soutenu par la sérénité, il réalise une vie heureuse »
11 Christ, du latin Christus, du grec ancien Χριστός, Khristós, de χριστός, khristós (« oint »)
12 extrait du discours du prix Nobel de la paix, décembre 1964